Hommage du Dr J. L.

Voici plus de 23 ans, j’intégrais comme interne de psychiatrie l’équipe dirigée par le professeur Édouard ZARIFIAN.Il fut alors pour moi ainsi que pour beaucoup d’autres un personnage impressionnant. Je ne vis d’abord en lui qu’un être de savoirs, en lui je considérais le Maître ; mais au fil des années passées à travailler dans sa proximité, je découvris un homme de convictions, fascinant, éclectique, prompt à ouvrir des chantiers novateurs, nous invitant à y travailler d’enthousiasme, chacun apportant sa pierre pour parvenir au but.

Édouard ZARIFIAN savait motiver, susciter les enthousiasmes œuvrant dans un souci d’ouverture et de pluridisciplinarité, ne comprenant pas les tiédeurs, ni les positions dogmatiques.

 

Qu’on le croit connaître ou qu’on le vit pour la première fois, on pouvait lire dans ses yeux l’empathie, un éclat de lumière et la lucidité vigilante que requiert une lutte constante contre les illusions. Tout dans ses propos faisait passer pour naturel et facile l’art complexe de transformer en bouquet de couleurs les broussailles les plus obscures et les plus épineuses, ainsi tombaient les masques dérisoires pour révéler les vrais rapports et les vrais signifiés.

Il avait une certaine idée de la psychiatrie et entendait la faire progresser, la partager, prônant une forme d’humanisme là où d’autres faisaient disparaître l’humain et en lui l’esprit, derrière le scientisme et la « santé mentale »

 

Édouard avait su évoluer de ses premières amours pour la psychiatrie biologique et la pharmacologie en renouant avec des valeurs humanistes. Il dénonça au fil de ses livres et de ses rapports l’engouement pour le biologique avant tout, le cerveau et la neurobiologie au détriment des valeurs non-matérialistes qu’elles soient spirituelles ou morales ; cette médecine oublieuse de ses humanités, ces médecins négligeant l’humain dans le malade.

Il prônait que l’homme peut sortir de ses conditionnements, de son contexte, de ses limites, derrière l’homme existentiel il s’occupait de l’homme essentiel, dans sa complexité biologique, psychologique, sociale et certainement aussi spirituelle.

Il n’était pas de ces modernes qui collectionnent les clefs sans ouvrir les portes. Pour eux l’idée ou le symbole restent à la surface de l’âme.

Édouard ouvrait les portes, savait donner et partager. Face à la souffrance psychique, à la douleur morale propres à la pathologie mentale, face à ces familles en questionnement, face à la mise au ban de la société, à la stigmatisation de ces hommes et de ces femmes malades, il a voulu, il a su instaurer la clarté, le dialogue et un partenariat avec entre autres les associations d’usagers.

 

Souvenons-nous de ses interventions dans les médias, des rencontres de la psychiatrie qu’il a initiées, de ce travail majeur qu’il a mené longtemps avec le soutien de tous les instants de Françoise, son épouse et sa collaboratrice.

Homme de valeur, il a su créer des interfaces de communication, des carrefours, sources d’interactivité, d’échanges, d’enrichissements mutuels entre sciences humaines, thérapeutiques de toutes orientations, prévention et cela dans le respect de la dignité humaine et le polythéisme des valeurs.

 

Durant les années passées à travailler au centre Esquirol, je vis Édouard changer, laissant s’éveiller en lui son intériorité. Il allait de plus en plus nettement vers le « dépouillement du vieil homme » dont parle Paul dans son épître aux Colossiens. Celui qui s’achemine vers la vraie Connaissance et la Compassion, manifestant sa différence tout en respectant encore plus, si cela était possible, les singularités et la liberté de chacun.

 

Édouard aurait pu être un de ces chercheurs de Connaissance qu’on trouvait à la Renaissance ou au siècle des lumières, il était intéressé par tout ce qui enrichissait l’esprit, pas seulement pour accroître son savoir mais pour partager

 

Reprenant les propos de Martin BUBER je les appliquerais à Édouard.

« Qu’as-tu fait ? T’es-tu bien accompli toi-même et non en imitant autrui. As-tu découvert ce pour quoi tu es au monde ?: Ta propre vertu, de tout ton corps, de tout ton esprit. As-tu unifié ton âme? L’as-tu purifiée de tes contradictions, as-tu été vigilant pour atteindre à la vertu? Pour cela as-tu cherché encore plus loin pour t’oublier enfin et te vouer à Autrui ? » Car ainsi que le dit LEVINAS : « L’humain dans l’être commence lorsque l’homme renonce à cette liberté violente propre à celui qui identifie la loi de l’être à un absolu, lorsque le moi égotique s’interrompt dans son projet d’être, détourne ses pas et son attention parce qu’il entend la voix de l’étranger, de la veuve et de l’orphelin, parce que dans le visage de l’autre surgit l’expérience de l’infini et de la transcendance. »

Tout cela je suis certaine qu’Édouard dans sa générosité et dans son intégrité l’a perçu et l’a réalisé dans l’aide et le don à autrui afin que celui-ci se réalise pleinement. Il a su vivre la loi d’amour génératrice de tolérance et de fraternité et si comme le disait St Jean de la Croix : « Au soir de la vie, vous serez jugés sur l’Amour », n’ayons pas de doutes car Édouard était réaliste, il voulait l’impossible. Et si parfois autour de lui certains renâclaient, traînant les pieds c’était de n’y comprendre rien, ne percevant pas la nécessité d’aller de l’avant, d’ouvrir des perspectives. Il allait suscitant des idées nouvelles tout en respectant la tradition, en étant en Vérité avec soi-même et en partageant l’agapè avec l’autre Homme. « Aime ton prochain comme toi-même, car l’homme libre est voué au prochain » (LEVINAS)

 

Édouard c’était l’engagement d’un esprit libre et de toute une vie, œuvrant jusqu’au bout grâce à sa famille et à celle qui l’a accompagné et secondé jusqu’au dernier jour et encore aujourd’hui.

C’était un sage souriant et bienveillant. Il s’est forgé dans sa vie face à l’adversité et à la souffrance, passant de la vérité que l’on croit détenir à la Vérité qu’il était, trouvant en lui la présence secrète d’un Être différent et de la transcendance.

Sa parole nous a formés et continue de faire sens en nous et pour les autres. Il a su nous transmettre son amour de l’autre, son désir de donner, son esprit d’ouverture, son refus des dogmes. Il nous a insufflé le sens du devoir. À nous de reprendre le flambeau, de poursuivre son œuvre, cheminant vers un perpétuel devenir.

 

À Édouard, qui a su partager et rassurer ses proches avec générosité jusqu’au dernier moment, d’ouvrir le chemin d’un ailleurs où la vraie grandeur est celle d’un Cœur juste

 

Dr J.L.  

 

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