Edouard Zarifian visionnaire

Article publié dans Cliniques Méditerranéennes n°77 aux éditions Erès

Edouard Zarifian visionnaire

 

La nuit tombée, ce dimanche 11 février, dix jours avant de passer de la vie à la mémoire de la vie, Edouard nous avait convié à dîner chez lui, dans sa maison à Ouistreham. Le repas avait été préparé par Françoise, toujours attentive, prévenant ses désirs et ses appels. La table était apprêtée avec simplicité et élégance. Edouard avait choisi les vins, vins exceptionnels, et dont il avait expliqué en détails l’emplacement dans la cave à son fils afin qu’ils soient chambrés avant notre arrivée.

Edouard a partagé avec nous une coupe de champagne, mais n’a pas participé au repas qu’il avait précautionneusement orchestré. Nous étions invités au repas d’un homme existant par sa pensée, oubliant l’homme souffrant biologique.
Durant ce moment privilégié, car unique, durant ce moment de transition intemporelle, un ultime échange résumait la vie d’Edouard, faisant resurgir ses idées fortes tout en mêlant la vision d’un nouvel état qui l’attendait et qu’il préparait en toute lucidité. L’esprit demeurait, le corps douloureux s’éloignait. Attachement et détachement initiaient la mémoire, la mémoire d’Edouard.

La psychiatrie, discipline pour laquelle il avait œuvré toute sa vie professionnelle, a été le sujet du dialogue. Ses propos, entrecoupés de temps de silence, silence de l’au-delà, que d’autres auraient considéré comme des absences. Ces temps d’évasion donnaient de la force dans le message qu’il révélait. Edouard visionnaire, Edouard qui a toujours été en avance sur son temps, était là devant nous rappelant tous les temps qu’il a marqués. Edouard a défendu l’ancrage scientifique, le raisonnement scientifique, la rigueur scientifique, l’esprit scientifique qui accompagne l’évolution dans le progrès.

Il a défendu l’approche pharmacologique, qui modifie structurellement l’état mental mais Il a aussi fustigé l’abus des médicaments, « véritable phénomène de société » et le message qu’il nous transmettait était l’importance du regard sur l’homme, unique avec son histoire ses passions et ses difficultés. Porter un diagnostic et prescrire un médicament à bon escient, soulagent le patient et confortent le médecin, mais tout ceci n’est pas suffisant. La compréhension de l’autre dans sa singularité, et l’accompagnement personnel sont les clefs d’une médecine de toutes les maladies en particulier des maladies mentales. Il existe certes des outils et des méthodes plus ou moins élaborées et intrusives, toujours évolutives, qui aident à mieux comprendre la personnalité de celui qui se trouve en face à face. Oublier l’homme qui souffre, organiser des soins sur un mode impersonnel, ne regarder la prise en charge que par l’activité, dispenser automatiquement des médicaments sont autant de heurts pour celui que est soigné, et de contresens pour celui qui soigne.

Ce soir là, Edouard regardant en face son futur immédiat, raisonnait avec rigueur et humanisme. Edouard restait le visionnaire, qu’il a toujours été et qu’il a toujours voulu être. Voir clair, se donner les moyens d’être efficace, et adapter les soins suivant la personne qui écoute et qui participe, tel est le médecin Edouard Zarifian. Son humanisme transparaissait. Nous le connaissions aussi pour son universalisme. Les livres qui envahissaient sa maison, son amour pour la musique, la recherche de l’excellence dans la cuisine et dans les vins prouvaient son désir de vivre. Son dernier livre sur la bulle de champagne, alliait la rigueur scientifique au plaisir de vivre. Il était passionné par tout ce que produit l’homme. Il aimait l’esthétique et tout ce qui touche les sens. Ecouter, admirer, goûter, toucher, sentir, tous ces verbes, étaient pour lui la vie. Il trouvait dans les livres, dans la poésie, dans l’évocation, la force d’imaginer et de rêver. L’humanité d’Edouard s’épanouissait dans l’appréciation sensuelle des œuvres d’autrui et dans l’émerveillement des sensations qui l’envahissaient.

Edouard visionnaire, scientifique, authentique, humain et humaniste, a semé en chacun les graines de ses passions, de sa lumineuse intelligence et de son ouverture à l’autre.

 

Laurent Degos, directeur de l’Agence du médicament, et Marie-Germaine Bousser

 

Invités : Marie-Germaine Bousser, Patrick van Effenterre, Françoise Degos, Laurent Degos.

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